Entre le devoir et la fatigue: le milieu culturel veut recoller les morceaux
Les travailleurs culturels souhaitent une relance de leur secteur d’activité forte, bienveillante et tournée vers l’avenir.
« Le milieu culturel est en convalescence. C’est l’expression que nous utilisons actuellement », explique Emmanuelle Belleau, conseillère en communication chez Culture Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches. Alors que la pandémie se résorbe graduellement, la relance culturelle dans la ville de Québec connaît des hauts et des bas. Pénurie de main-d’œuvre, épuisement professionnel et surcharge : les traces des dernières années se font vives dans le milieu.
Les travailleurs culturels veulent faire de cette crise sanitaire, bien qu’elle ne soit pas tout à fait derrière eux, un moment décisif dans l’avenir de leur secteur d’activité.
« Il y a eu un avant la pandémie et un après. Et, on ne veut pas revenir aux conditions de travail de l’avant », a lancé Pascale Landry, directrice de Compétence Culture.
Cette pause impromptue a amené les travailleurs culturels à réfléchir autant à la place du travail dans leur vie qu’à la fragilité du milieu en lui-même.
Terminant ses études en scénographie au Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2019, Ariane Bilodeau travaille comme scénographe et costumière dans l’industrie du cinéma, du cirque et du théâtre jusqu’en 2021 avant de faire un retour sur les bancs d’école.
Le roulement qu’il y a eu dans l’équipe du théâtre La Bordée a amené Rosie Belley à occuper les postes de codirectrice générale et directrice administrative depuis le printemps 2022.
Maintenant directrice des communications chez Manif d’art, Emmanuelle Herbert a fait le saut comme travailleuse autonome une semaine avant que l’urgence sanitaire soit déclarée.
Vue de l’Impérial Bell. Ce qu’ont redouté les travailleurs culturels, c’est le goulot d’étranglement qui a suivi la reprise des activités. Plusieurs spectacles nouveaux comme reportés devaient sortir, mais peu de lieux de diffusion étaient disponibles pour le faire. // Pour égayer le quartier Saint-Roch, la murale Foule – une série de vingt portraits – a recouvert la façade arrière du théâtre La Bordée durant la pandémie. Obtenant le mandat pour la saison 2022-2023, la collagiste Nadia Morin a poursuivi l’initiative avec l’œuvre géante Devant nous le vertige. // Organisée par Manif d’art, la dixième édition de la biennale de Québec qui mobilise certains locaux de la coopérative Méduse a été reprise en février et avril 2022 après avoir été rayée du calendrier.
Deuxième pôle culturel de la province, la ville de Québec a été particulièrement touchée par les départs définitifs ou temporaires de travailleurs culturels entre 2019 et 2021. Excluant l’instabilité engendrée par la crise sanitaire, ces départs seraient également liés, selon Culture Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches, au pouvoir économique de ces régions, au taux d’employabilité ainsi qu’à un manque de compétitivité des secteurs culturels, ce qui contribuent à l’exode de talents.
Les municipalités de la région de la Capitale-Nationale investissent dans la culture un montant par habitant qui est dans la moyenne québécoise, mais nettement sous la performance de Montréal (-56 %). Pour sa part, Chaudière-Appalaches figure parmi les régions les moins généreuses.
« Le choix de quitter est devenu, sans doute, une réponse plus simple à donner que de se confronter, jour après jour, projet après projet, au système et ses enjeux », affirme Emmanuelle Belleau, conseillère en communication chez Culture Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches.
Source: Compétence Culture, Culture en action - Plan d’action pour les ressources humaines en culture 2023-2028.
Stabiliser le financement, renforcer le filet social en implantant un revenu minimum garanti et mutualiser les ressources humaines telles que les techniciens de scène et les comptables afin de faire face à la pénurie de main-d'œuvre: des solutions sont mises de l’avant par les organismes sectoriels afin de mieux soutenir les acteurs du milieu culturel tout en assurant la pérennité de l’industrie.
Appelé à se réinventer pendant plusieurs mois, « le milieu culturel est arrivé », selon Rosie Belley, codirectrice générale et directrice artistique au théâtre La Bordée, « aux limites de ce pattern-là ». Elle revendique pour la suite « d’être capable de dire non, d’être capable de dire ce que ça coûte vraiment un projet de telle envergure avec les moyens que l’on souhaite lui donner pour qu’il se rende jusqu’à son public. (…) Pis, si on n’a pas les moyens pour le réaliser comme on le souhaite, il vaut mieux ne pas le faire que de le faire à moitié et d’y écoper au passage. »